Un géant vient de nous quitter quelques semaines après son épouse et principale collaboratrice. Paul Gérin-Lajoie n’est plus. Le Québec perd ainsi l’un des grands artisans de sa Révolution tranquille qui le propulsa, il y a plus de 60 ans, dans la modernité. Il perd aussi l’architecte de son système d’éducation. Il perd surtout un homme d’une grande probité et d’une superbe intelligence, entièrement dévoué aux causes qu’il épousa, notamment celle de l’éducation des jeunes Africains et des jeunes Africaines. Je perds personnellement un modèle.
En hommage à Paul Gérin-Lajoie, je reproduis ici, un article publié à l’automne 2010 dans le Bulletin de l’Amicale des Anciens parlementaires du Québec qui soulignait, par une série d’interventions d’anciens députés, les 50 ans de la Révolution tranquille et les 90 ans de monsieur Gérin-Lajoie.
Aux membres de sa famille, j’offre l’expression de ma sympathie la plus vive. Au-delà de ce deuil familial, c’est tout le Québec qui ressent aujourd’hui cette perte et qui pleure ce grand Québécois qui n’avait pas peur de se proclamer grand Canadien.
CT
PGL : un modèle
Orphelin d’un père décédé trop rapidement à l’âge de 33 ans, les circonstances de la vie ont fait que j’ai été élevé dans l’admiration de PGL que l’on m’a proposé comme modèle dès mon plus jeune âge. Étudiant à la Faculté de Droit de l’Université de Montréal au milieu des années soixante, j’ai eu le privilège de travailler avec lui durant quelques années et de l’accompagner dans des moments importants de sa carrière politique.
Le jeune avocat brillant
Paul Gérin-Lajoie fit son stage (on disait alors sa cléricature) chez Phelan, Fleet, Robertson et Abbott, étude légale dont est issu l’ancien ministre de la Défense nationale (1945-1946) et des Finances (1946-1954) du Canada sous William Lyon Mackenzie King et Louis St-Laurent, Douglas Abbott. Mon père, Genest Trudel, premier secrétaire francophone d’un Premier ministre canadien au début des années 40, y pratiquait le droit et se prit d’amitié pour ce jeune homme brillant et plein d’ambition. Il en fit, me dit-on, son protégé jusqu’à sa mort prématurée en mars 1946. Plusieurs pages du journal de mon père témoignent de la pensée résolument nationaliste de PGL, de son questionnement sur les pouvoirs du Québec dans la fédération canadienne. Homme structuré, PGL croyait aux structures, notamment celle du fédéralisme canadien. Même passion pour la politique, deux terrains d’exercice. Mon père choisit la politique fédérale, son protégé le terrain provincial, bien que beaucoup plus tard, après une fructueuse carrière d’avocat, marquée au coin de l’engagement social.
Une défaite cruelle
Comme beaucoup de Québécois et peut être plus que certains, j’ai suivi très tôt et avec un intérêt passionné qu’alimentaient mon profond désir et ma dévorante ambition d’en faire un jour autant, la carrière politique de celui qui allait devenir l’un des artisans de la Révolution tranquille. A la fin des années 50, malgré les réformes apportées par Georges-Emile Lapalme à la Fédération libérale du Québec, les jeunes n’étaient pas admis au sein des partis politiques, surtout s’ils n’avaient que 16 ans! Je n’assistai donc pas à la cruelle défaite de PGL au Petit Colisée de Québec le 31 mai 1959. Dire que j’en fus déçu est un euphémisme.
Devant défrayer moi-même le coût de mes études de Droit, je décidai de communiquer avec le bureau de PGL, qui me reçut rapidement et m’offrit, en juin 1965, le poste de rédacteur-en-chef de l’ECHO de Vaudreuil-Soulanges, dont il était propriétaire. Je travaillai également auprès de son secrétaire de comté à Dorion.
Le député-ministre
J’ai souvenir que le Député-Ministre en menait aussi large à Québec que dans sa circonscription, oû son passage quasi hebdomadaire était toujours remarqué. Exigeant, perfectionniste, stratège, son agenda surchargé de ministre ne l’empêchait pas de lire son journal d’un bout à l’autre et de freiner, à l’occasion, les envolées épistolaires de son jeune rédacteur emporté par son enthousiasme ou son trop grand désir de faire partager aux électeurs sa vision plutôt que celle, plus modérée, on s’en doute, du patron! J’ai de beaux souvenirs de certains samedi matin de mises au point bien senties sur le papier du mercredi, en la présence souvent modératrice de son épouse Andrée. Je me rappelle aussi les longues sessions de révision des multiples versions du texte de ses allocutions en compagnie du regretté Pierre Martin, de Robert Gratton et de Jacques Zygby, comme j’ai plaisir à évoquer les assemblées publiques auxquelles il participait. Grand seigneur, PGL n’en savait pas moins toucher son peuple par des formules aussi élégantes que claires, voir savoureuses. De la difficile campagne électorale de 1966 qui donnait enfin le droit de vote aux jeunes de 18 ans, au terrible accident de train qui faucha 32 vies d’étudiants en octobre 1967, de l’inauguration du très attendu Pont de l’Ile aux Tourtes en juillet 1965 à la tournée annuelle du comté, j’ai beaucoup appris de PGL, notamment la vision politique, la rigueur intellectuelle, le souci du détail, le respect de l’autre malgré la différence, sans oublier la politique de terrain, parfois difficile, souvent ingrate, mais jamais ennuyeuse. Toute cette expérience acquise ne fit, on s’en doute, qu’alimenter mon désir d’en faire autant, si l’occasion s’en présentait.
Membre des Jeunes libéraux du Québec et de la commission politique du PLQ, je vécu de près, et aux côtés de PGL, la campagne à la Présidence du PLQ en novembre 1966, éphémère tentative de moderniser le parti en y faisant élire l’équipe d’Éric Kierans, Marc Brière et Philippe Casgrain, tous trois qualifiés de dangereux radicaux! Seul Éric Kierans survivra à la locomotive que constituait alors l’aile conservatrice du parti.
La croisée des chemins
Bien que n’étant pas présent aux rencontres qu’un groupe de libéraux menés par PGL et René Lévesque tenaient depuis la défaite de juin 1966, je suivis avec passion et grâce à la collaboration de PGL, les discussions qui, de fil en aiguille, portèrent sur l’inévitable question nationale, le renouvellement du fédéralisme, l’égalité des partenaires, la souveraineté- association. Sans surprise, on en arriva à la croisée des chemins et malgré ses tentatives de conciliation, PGL, qui n’aimait pas la chicane, dut choisir son camp : celui du fédéralisme renouvelé qu’il appela joliment le statut particulier. Ultime tentative de ralliement, la proposition de PGL tiendra la route jusqu’au congrès fatidique d’octobre 1967. Son adoption sifflera la fin de la récréation et le départ conséquent de René Lévesque. Tant a été écrit sur ce samedi d’octobre 1967 que je ne ressens aucun besoin d’en rajouter. J’étais assis à côté de PGL quand René Lévesque a fait sa sortie calculée. D’ailleurs, PGL avait choisi avec beaucoup d’habileté une chaise qui donnait sur l’allée centrale. Il s’est levé pour donner la main à Lévesque (ou est-ce l’ancien premier ministre qui la lui a tendu, la mémoire me fait défaut) ; ils se sont dit quelques mots que j’ai mal entendus et René Lévesque a terminé l’échange-éclair en disant <salut Paul>. Une page d’histoire venait de s’écrire. Moins d’un an et demi plus tard, PGL réorientait sa carrière.
En moins de 15 ans de vie politique, cet homme avait, avec quelques autres, modifié pour toujours la vie du Québec, en assurant notamment l’avenir de sa jeunesse et l’éducation de ses enfants.
J’ai eu plusieurs occasions de rencontrer PGL au cours de ma carrière. J’ai participé de trop loin, je l’admets, à sa Fondation. La maison d’édition que j’ai présidée durant 6 ans a publié un ouvrage de PGL au milieu des années 80. Nos chemins se sont croisés à l’occasion de multiples rencontres sociales, dont la dernière, en juin dernier, soulignait ses 90 ans. J’y pris plaisir à chaque fois, la chaleur de l’homme et, quant à moi, sa grande simplicité, me rappelant les raisons pour lesquelles je l’avais adopté comme modèle dès mon enfance. A aucun moment, au cours de ces quelques 60 ans, ne l’ai-je regretté ou ai-je senti le besoin de le rejeter.
Je l’ai écrit le printemps dernier : je considère Robert Bourassa comme mon mentor. Aujourd’hui, en m’associant à l’hommage mérité qui lui est rendu dans ces pages, je suis fier de réaffirmer que PLG est toujours un modèle pour moi.
Claude Trudel
Député de Bourget (1985-1989)

Paul Gérin-Lajoie et Pierre Cayouette lors du lancement de mon livre en avril 2015